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« J'ai dû manquer un épisode de l'histoire… »

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Une opposition franche et massive se développe dans la Somme contre le projet 1 000 vaches. Les arguments sont aussi nombreux et efficaces pour s'attirer la sympathie des citadins et des médias grand public, qu'inexacts pour qui connaît ou s'intéresse un tant soit peu à la réalité et aux contraintes de l'élevage laitier d'aujourd'hui. Petite sélection du lot d'énormités entendues lors des manifestations des opposants et reprises sans vérification par des pseudo-journalistes sur France-Inter le temps d'une chronique.

« Les vaches seront enfermées toute leur vie dans un bâtiment sans voir le jour». Comprendre : elles n'iront pas en pâture pendant la période de lactation.

« Elles seront attachées à l'auge toute leur vie. » Comprendre : le bâtiment sera équipé d'un système de contention (cornadis) permettant de bloquer les animaux pour certaines interventions.

« Le lait produit à partir de nourriture artificielle sera impropre à la consommation. » Comprendre : les laiteries du secteur en font du lait de consommation et des crèmes desserts. « La concentration des animaux va générer de nouvelles maladies comme en 2006 et 2011. »

Comprendre : ça y est, on a trouvé les origines de la FCO et de Schmallenberg qui, heureusement, ne semblent avoir touché que les gros troupeaux enfermés en bâtiments clos.

« Les vaches seront misérablement exploitées jusqu'au bout. »

Comprendre : il n'y a que dans les gros élevages que les vaches de réforme vont à l'abattoir. « La santé humaine est en danger car ils vont nous faire manger du lait aux antibiotiques. » Comprendre : le cahier sanitaire serait aboli pour les gros troupeaux.

Et pourtant, cette évolution de l'agriculture vers des exploitations de plus grandes tailles n'est pas récente. Elle correspond à une évolution des contextes économiques, sociaux et environnementaux… eux-mêmes découlant de choix politiques d'élus représentants les citoyens.

Un ami agriculteur faisait, il y a quelque temps, le ménage dans son grenier. Il est tombé sur quelques collectors : un numéro de La France Agricole de novembre 1982. On y lisait que les vaches de réforme P= étaient, en moyenne nationale, à 14,95 F/ kg, soit 2,30 €/kg, et le blé à 129 F le quintal, soit 195 €/t. Une étude statistique plus récente montre que le lait était payé, en 1988, près de 2 F du litre, soit le même prix qu'aujourd'hui. Certes, entre-temps, les primes incluses dans le prix payé aux producteurs ont été séparées en DPU. Mais quand même…

En 1988, j'achetais 2 litres de fuel avec 1 litre de lait vendu. En 2012, il faut en vendre 3 pour acheter 1 litre de fuel. Le Smic de 1982 était à 4 111 F bruts pour 39 heures par semaine, soit 1 480 litres de lait.

Le Smic de 2012 est à 1 400 €, soit 4 650 litres de lait pour 35 heures par semaine.

Je suis le premier à regretter cette course en avant. Oui, l'idéal serait de maintenir des exploitations familiales dégageant 1,5 Smic pour un couple vivant avec 40 vaches laitières, et cela sur tout le territoire. Mais le bonheur n'est plus dans le pré depuis longtemps.

En regardant il y a peu à la télévision le classique « Que sont-ils devenus ? » de la célèbre émission de M6 L'Amour est dans le pré, je ne pouvais que constater la détresse des producteurs de lait. Julien avait vendu sa ferme pour pouvoir vivre avec sa femme et leur enfant. Jean-Claude ne pouvait pas encore faire venir sa compagne parce que les revenus de sa ferme étaient trop faibles. Jean-Michel était au bord de la faillite. Beaucoup restent célibataires parce que leurs copines potentielles ne supportent plus le temps de travail des exploitants, totalement pris par les vaches. Alors, quel avenir pour les producteurs de lait, surtout dans les régions où les prairies sont déjà rares et les cultures plus rémunératrices ?

MICHEL HEINE

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